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visite ferme

VISITE A LA FERME DE MAINPINCIEN  ( 1888 )

Rapport de M. A. PETIT, à la Société d'Agriculture de Meaux

Messieurs,

Depuis plus de 20 ans, une importante ferme de la Brie, située à Mainpincien, commune d'Andrezel, près de la petite ville de Guignes-Rabutin, et exploitée par un habile agriculteur, M. Emile Rémond, est cultivée d'une façon raisonnée et presque exclusivement, à l'aide des engrais chimiques, avec la collaboration de M. Joulie, dont l'autorité et la compétence vous sont connues de longue date.

Nous savions déjà que la ferme de Mainpincien était le plus vaste champ d'expériences d'engrais chimiques du département de Seine-et-Marne ; nous n'hésitons pas à ajouter, après l'avoir vue, que c'en est aussi le plus instructif et le plus remarquable.

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Toujours préoccupé de la pensée de faire connaître aux cultivateurs de l'arrondissement de Meaux, les découvertes et les progrès qui peuvent leur venir en aide, constamment en quête des procédés et des méthodes les meilleurs pour atténuer la crise agricole et résister à la concurrence étrangère, notre zélé président M. Gatellier, convaincu depuis longtemps de la valeur et de l'efficacité des engrais chimiques, et des services qu'ils sont appelés à rendre à l'agriculture, vous demanda dans la dernière séance de nommer une commission chargée d'aller constater à Mainpincien le résultat des travaux de MM. Rémond et Joulie.

Jeudi dernier, 30 juin, les membres de la commission et du bureau et quelques-uns de nos collègues des environs de Meaux, se rendaient à Mainpincien où les attendaient M. Rémond, M. Joulie et quelques notabilités de l'agriculture et de la science parmi lesquels nous citerons :

MM. Vassilière, inspecteur général de l'agriculture ;
Gustave Heuzé, inspecteur général honoraire de l'agriculture ;
Doniol, membre de la société nationale d'agriculture, directeur de l'imprimerie nationale.
Gusman Serph, député de la Vienne, lauréat de la prime d'honneur en 1868.
Nicolas, propriétaire de la ferme d'Arcy-en-Brie;
Mir, ancien député, agriculteur et propriétaire en Seine et-Marne ;
Henri Petit, agriculteur à Champagne ;
Emile Petit, agriculteur àOrsigny.
Gilbert, agriculteur à Montigny-le-Bretonneux, lauréat de la prime d'honneur de Seine-et-Oise en 1881 ;
Page, propriétaire dans l'Anjou.

Ce qui portait à 30 personnes environ le nombre des visiteurs.

La ferme de Mainpincien se compose de 308 hectares de terre d'un seul tenant desservis par de bonnes routes et des chemins d'exploitation : elle embrasse un vaste plateau sans la plus légère dépression de terrain.

Le sol nous a paru extrêmement homogène, argilo-siliceux et de consistance moyenne.

Comme dans toute la Brie, le sous-sol est parfois imperméable : toutes les parties fraîches ont été drainées, nous n'avons pas vu de sillons, mais des planches larges de plusieurs mètres : nous avons aussi remarqué sur différents points de longs fossés d'écoulement.

Lorsque M. Rémond succéda à son père et à son grandpère, la ferme avait été soumise à une culture basée sur une importante production de fourrages et de prairies artificielles. Le bétail était nombreux et les fumures abondaient.

Les luzernes et les trèfles en revenant sur eux-mêmes ne trouvaient plus dans le sol les éléments nécessaires et poussaient difficilement, mais en revanche une ample provision d'azote s'était accumulée dans le sol, et sous cette influence les céréales développaient une végétation trop luxuriante qui entraînait la verse et venait compromettre la récolte.

C'est à cette situation que M. Rémond résolut de remédier.

D'une part, il s'agissait de consacrer à la culture des céréales la plus vaste étendue possible, et de l'autre d'en assurer la réussite.

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M. Rémond voulait aussi rendre au sol les éléments qui manquaient à la production fourragère

C'est dans ce but que la culture de la betterave à sucre fut introduite à Mainpincien et qu'on songea à l'emploi des engrais chimiques. Les théories de M. Georges Ville avaient déjà préoccupé les cultivateurs les plus éclairés et M. Rémond avait compris tout ce qu'elles avaient d'avantageux et de fécond dans l'avenir.

Nous n'oublions pas en passant, Messieurs, qu'à la même époque, notre honorable collègue, M. Lavaux, faisait sur sa ferme de Choisy-le-Temple les premières expériences sur les engrais chimiques et qu'il en a obtenu des résultats concluants qui ont fait, vous vous le rappelez, l'objet d'un intéressant rapport il y a peu d'années.

M. Rémond n'hésita pas à prendre pour guide dans la voie nouvelle où il s'engageait, le chimiste distingué dont nous avons cité le nom et M. Joulie prit la direction des transformations à exécuter sur les terres de Mainpincien et l'application des engrais fut exécutée d'après ses conseils.

Au début la terre de chaque champ fut analysée, les récoltes qui en provenaient le furent également ; on constata ainsi les éléments qui faisaient défaut au sol et ceux qui y étaient en excès, et il fut ensuite facile d« déterminer dans quelles proportions les engrais chimiques devaient être employés.

Les animaux de rente furent alors presque entièrement supprimés, et nous n'avons vu à Mainpincien que des animaux de trait et quelques moutons destinés à consommer les déchets de la machine à battre et de la ferme.

Le fumier diminua naturellement dans les mêmes proportions et depuis cette époque, tous les ans, sans exception, chaque pièce de terre, suivant le genre de récoltes qu'on lui destine, reçoit la dose des engrais qui lui sont jugés nécessaires.

Le sulfate d'ammoniaque et le nitrate de soude fournissent l'azote, mais nous avons hâte de dire que la proportion d'azote contenue dans le sol étant très forte les éléments azotés ne sont employés qu'avec une extrême prudence et en quantité relativement faible : c'est ainsi que nous avons vu une parcelle de 1 hectare 50 ares, sur défrichement de pré, qui avait produit 14 récoltes consécutives sans aucune addition d'azote.

Les superphosphates destinés à fournir l'acide phosphorique, sont en revanche répandus dans des proportions considérables.

Le chlorure de potassium fournit la potasse tandis que des marnages et des applications d'écumes de défécation prises à la sucrerie de Guignes rendent au sol la chaux lorsqu'elle est reconnue nécessaire.

Les 308 hectares de l'exploitation de Mainpincien sont ainsi divisés dans les assolements :

132 hectares de blé d'hiver et de mars ; 66 d'avoine ; 44 de betteraves ; 66 de fourrages, composés de luzerne, trèfle et prairies temporaires, soit 198 hectares de céréales et 110 hect de betteraves et fourrages.

Vous serez frappés, Messieurs, comme nous l'avons été nous-mêmes, de cette énorme proportion de céréales et surtout de l'étendue de la sole des blés qui comprend près de la moitié de l'ensemble du domaine. Pour arriver à un chiffre aussi élevé, il était nécessaire de modifier les assolements usités dans notre contrée et d'en adopter un qui, nous devons l'avouer, nous a quelque peu surpris, car il renverse tous les principes appliqués jusqu'à ce jour et basés sur une expérience séculaire.

Trois récoltes consécutives de céréales se succèdent invariablement sur les terres de Mainpincien.

Savoir : après luzerne, blé d'hiver, blé d'hiver, avoine.

Après trèfle, prairies temporaires et betteraves, blé d'hiver, blé de mars, avoine.

Toutes ces récoltes, avons-nous dit, ont leur fumure spéciale d'engrais chimiques ; seules les betteraves reçoivent les fumiers produits à la ferme et qui leur sont exclusivement réservés.

Il nous est difficile de préciser ici les doses d'engrais employés sur chaque nature de récoltes : comme nous l'ont répété à diverses reprises nos obligeants guides, MM. Rémond et Joulie en nous faisant parcourir les admirables champs du domaine, ces doses sont extrêmement variables et subissent des modifications à chaque pièce pour ainsi dire.

Lorsqu'une récolte n'a pas donné les résultats attendus, l'analyse indique en même temps l'origine et le remède du mal.

J'arrive maintenant, messieurs, à vous entretenir de l'impression que nous a causée l'aspect des récoltes sur champ et la vue de ces énormes pièces de blé sur blé, et surtout de ces avoines succédant à deux blés consécutifs.

D'un mot, il est facile de résumer cette impression ; pendant près de quatre heures qu'a duré notre visite, nous n'avons cessé d'être émerveillés. Nous n'avons qu'un regret c'est que tous les cultivateurs du pays n'aient pu se trouver là et partager notre admiration.

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Deux faits nous ont particulièrement frappés. Une propreté irréprochable et une régularité parfaite dans la récolte.

Dans une année, où même chez les cultivateurs les plus soigneux la généralité des céréales de printemps sont envahies par la moutarde sauvage, nous n'avons pu en trouver une seule tige dans les blés de mars et les avoines de M. Rémond, de même qu'il nous a été impossible, pour ainsi dire, de découvrir dans toute la sole des blés d'hiver la moindre trace de coquelicot ou d'herbe étrangère.

Cette propreté si difficile à obtenir et qui nou« surprend davantage en présence de trois récoltes successives de céréales a été conquise à l'aide de binages persévérants au printemps. Ils ne sont plus nécessaires aujourd'hui mais chaque année après l'hiver, les champs sont sarclés et les mauvaises herbes arrachées avec soin.

« La propreté du sol, nous a dit M. Joulie, est le corollaire indispensable des engrais chimiques, dont l'action est beaucoup plus énergique,' plus active et plus prompte que celle des fumiers.

« Sous leur influence, les mauvaises herbes prendraient rapidement un développement exceptionnel et ne tarderaient pas à compromettre la récolte. »

Nous avons aussi félicité M. Rémond de l'extrême régularité des produits. Il n'est pas rare de voir dans les exploitations les mieux tenues, des lacunes, quelques inégalités, certains champs inférieurs à l'ensemble de la récolte.

Nous n'avons pu constater rien de semblable à Mainpincien, ni remarquer une parcelle moins satisfaisante que le reste : partout sans la plus légère tache les blés d'hiver et de mars présentent une végétation superbe.

La paille est forte et résistante, les épis longs et déjà remplis d'un grain bien formé. M. Joulie évalue le nombre des tiges dans les blés à 400 au mètre carré et M. Rémond compte que le rendement sera équivalent à la moyenne des dernières années, c'est-à-dire 36 hectolitres pour les blés d'hiver et 34 pour les blés de mars.

Malheureusement, un orage d'une violence extrême et comme on en voit peu dans nos régions a éclaté dans la soirée du 25 juin et a versé partiellement quelques blés d'hiver après prairie temporaire trèfle ou luzerne, c'est-àdire dans ceux des champs où l'azote doit être plus abondant. Ces blés toutefois sont soulevés, et nous ne doutons pas qu'ils n'arrivent àAune parfaite maturité et à un rendement satisfaisant.

Les blés de betteraves et ceux de mars ont parfaitement résisté, et nous ont paru présenter une supériorité comme couleur et comme aspect sur les blés après fourrages. La commission a estimé que les blés d'hiver représentent 1,300 gerbes à l'hectare et ceux de mars 1,000 gerbes.

M. Rémond a adopté trois variétés principales de blé d'hiver : le dattel, le blé de Bordeaux et le blé bleu qu'il cultive séparément pour obtenir des semences qu'il sème ensuite en mélange sur toute la sole.

Il s'attache avant tout aux variétés à paille courte et ferme, pour prévenir la verse. Ils sont semés généralement à 165 litres à l'hectare en ligne distantes de 15 centimètres. On redoute les semis trop épais ainsi qu'une végétation trop hâtive avant l'hiver.

Les blés de printemps appartiennent à la variété blanche et au saumur de mars qu'on sème en mélange, et le plus généralement à la volée comme les avoines.

Pas plus que les blés, ces dernières ne laissaient rien à désirer, il est difficile de rencontrer une végétation plus soutenue et un plus bel aspect. Il n'est pas douteux que la pluie du 25 n'ait exercé une influence heureuse sur cette récolte qui profitera jusqu'à la maturité de l'humidité du sol.

Ces avoines ont été estimées par la commission à 900 gerbes à l'hectare. On a renoncé à cultiver l'avoine de Brie et on l'a remplacé par l'avoine grise de Beauce qui, suivant M. Rémond est plus productive.

Nous avons pu remarquer aussi dans notre visite que grâce à l'emploi des engrais chimiques et principalement des sels de potasse, la production fourragère était satisfaisante.

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M. Rémond pratique aussi la sidération en enfouissant la seconde coupe de trèfle qui précède le blé.

Cette opération ne fournirait-elle pas au sol un excès d'azote qui nous expliquerait la teinte un peu trop verte peut-être que nous avons remarquée, et la verse partielle sur les blés de trèfle ?

Les betteraves, bien qu'un peu en retard pour les binages, nous ont paru en bonnes conditions.

On nous a fait voir un champ semé directement sur premier défrichement de luzerne et où l'on espère obtenir une densité de 7».

Comme résultat financier, M. Rémond  nous a affirmé que l'emploi des engrais chimiques lui assurait une régularité remarquable dans ses récoltes.

Dans les mauvaises années, le rendement ne s'est abaissé que de trois ou quatre hectolitres, aussi a-t-il pu traverser sans perte les années désastreuses dont le souvenir ne nom est encore que trop récent.

Il serait fort intéressant maintenant, et comme point de comparaison, de pouvSii établir le prix de revient des récoltes cultivées par les engrais chimiques, et celui des produits obtenus avec le fumier par l'ancienne méthode.

Il nous reste en terminant, Messieurs, une dette d« reconnaissance à acquitter envers l'obligeant agriculteur  qui, après nous avoir fait le plus gracieux accueil, nous a accompagnés et guidés pendant plusieurs heures au milieu de sa vaste exploitation, en nous donnant de la meilleure grâce du monde toutes les explications, tous les détails les plus variés sur toutes les opérations de sa culture.

On doit être fier à juste titre, lorsqu'on peut présenter à des confrères d'aussi indiscutables succès et un exemple aussi précieux. Cet exemple portera des fruits, nous l'espérons ; la grande théorie des engrais chimiques est désormais entrée dans la pratique, et les hommes qui pendant vingt années de persévérants travaux sont arrivés au remarquable résultat que nous avons eu la bonne fortune de constater, ces hommes ont bien mérité de leur pays.

Nous n'oublierons pas davantage le zélé collaborateur de M. Rémond, le savant modeste et patient qui lui aussi, a rivalisé d'empressement et d'obligeance pendant notre visite à Mainpincien, après avoir consacré tant d'années et de soins à la vulgarisation d'une science qui contribuera peut être à sauver l'agriculture, si toutefois elle doit l'être. Nous adressons tous nos remerciements à M. Joulie, au nom de notre Société d'agriculture de Meaux.

Qu'il me soit permis aussi Messieurs, au nom de tous ces collègues de remercier notre président M. Gatellier, de l'heureuse pensée qu'il a eue, de nous faire visiter la ferme de Mainpincien. Cette journée comptera parmi les meilleures et les plus fructueuses de nos annales.

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Date de dernière mise à jour : 19/04/2020